La Relativité générale est exemplaire en de nombreux aspects :
-Elle montre à quel
point une théorie même révolutionnaire n’apparaît pas spontanément mais est le
fruit d’un lent mûrissement à travers des générations de physiciens. En ce sens la
Relativité est tributaire des premières interrogations des Grecs sur le mouvement.
-La Relativité générale, comme la Relativité restreinte, est construite à partir d’un
principe unique, ici le principe d’équivalence. De plus, elle ne laisse pas le choix de
paramètres ajustables. Un seul principe conduit à un développement de
mathématiques et de lois physiques prodigieux ouvrant la possibilité de nombreux
tests expérimentaux. En ce sens, c’est une théorie prenant beaucoup de risques
donc fortement falsifiable au sens du philosophe Karl Popper.
Deux traits
caractéristiques d’une théorie féconde sont l’extension et l’unification. L’extension
veut dire que l’on étend les théories précédentes à de nouvelles échelles et à de
nouvelles situations. Tel est le cas pour la Relativité générale qui étend la
Gravitation newtonienne à des corps animés de vitesses proches de celle
de la lumière, ou constitués de masses tellement grandes que la théorie
newtonienne ne s’applique plus (trous noirs par exemple). L’unification veut dire
que la théorie prend en compte d’une manière unifiée des phénomènes qui
semblaient de prime abord ne rien avoir en commun, qui semblaient faire
partie de domaines disjoints de la physique. Tel est principalement le cas de
l’unification de l’inertie et de la gravitation par la Relativité générale.
Tout
ceci, allié à la très grande cohérence interne (absence de contradictions
internes, de difficultés mathématiques comme les infinis en Electrodynamique
quantique, précision des concepts de base), en font le prototype de ce que doit
être une bonne théorie physique.- La Relativité restreinte et la Relativité
générale, montrent la puissance de la physique : en partant d’une réflexion
approfondie sur le mouvement, on débouche entre autres sur l’équivalence entre
la masse et l’énergie, sur la prédiction de l’existence des antiparticules
(Relativité restreinte et Mécanique quantique) et sur le calcul de l’âge de
l’univers.
-La Relativité générale est également remarquable par le temps
qui s’est écoulé entre beaucoup de ses prédictions et leurs vérifications
expérimentales : ainsi l’expansion de l’univers fut tout de suite déduite des
équations de la Relativité générale. Ce résultat parut tellement surprenant à
Einstein qu’il modifia ses équations en introduisant une constante dite
cosmologique qui permettait à l’univers d’être statique. Une fois la confirmation
expérimentale de l’expansion faite par Hubble en 1929 (décalage vers le rouge
de la lumière reçue des galaxies lointaines) il reconnut que l’introduction
de cette constante fut la plus grande erreur de sa vie.
Le rayonnement
cosmologique à 3 K prévu par Gamow en 1948 ne fut découvert fortuitement qu’en
1964 par Penzias et Wilson. L’effet Einstein de décalage vers le rouge d’un
rayonnement dans la traversée d’un champ de gravitation, prévu dès le départ
par Einstein lui-même, ne fut vérifié expérimentalement avec une grande
précision grâce à l’effet Mssbauer qu’en 1960 par Pound et Rebka.
Ces
décalages ont contribué à marginaliser la Relativité générale qui au début avait
peu de vérifications expérimentales et peu d’applications. Jusqu’en 1960
deux vérifications seulement étaient disponibles : l’avance du périhélie de
Mercure et la déviation de la lumière des étoiles au passage près du Soleil.
Ainsi, la Relativité générale dû subir une véritable traversée du désert
jusqu’à ces années 1960. Pourtant ceci est une preuve de l’extraordinaire
pouvoir prédictif de cette théorie et de l’immense avance qu’ont pris à ce
moment les concepts théoriques sur l’expérience. Le peu de vérifications
expérimentales de la Relativité générale tenait à la difficulté de ces vérifications
faisant pour la plupart appel à l’astrophysique qui était une science à l’état
d’ébauche au moment du développement de cette théorie. Des moyens
technologiques perfectionnés non disponibles à l’époque sont également utilisés
dans beaucoup d’expériences modernes. Insistons sur le fait que la Relativité
générale a une très grande richesse de contenu. Le nombre de résultats prédits
dans des situations variées est prodigieux.
Actuellement on assiste à un
véritable renouveau. Les applications en astrophysique sont nombreuses, en
liaison souvent avec la physique des particules. Cela contribue à obtenir de
plus en plus de vérifications expérimentales. Or, jusqu’à présent, à chaque
fois qu’un nouveau test expérimental est effectué, le résultat prédit par la
Relativité générale se trouve confirmé. La Relativité générale, qui fut conçue
presque entièrement comme une pure abstraction de pensée au début de ce
siècle, s’avère donc finalement totalement juste.
Indépendamment de ce
renouveau expérimental, un regain d’intérêt apparaît également de la part des
théoriciens. Des liens très étroits existent en effet entre cette théorie et les
théories modernes des interactions en physique des particules. Ces théories
comme la Relativité générale sont des théories de jauges. Un demi-siècle à
l’avance, cette théorie trouvait donc une structure qui allait s’avérer être
la structure générale de toutes les interactions. Le but ultime est bien
sûr d’unifier les quatre interactions (forte, faible, électromagnétique et
gravitationnelle) dans une théorie unique.
Cet ouvrage s’adresse à un public
du niveau du DEUG ou des Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles
scientifiques. La Relativité restreinte est reprise dans ses grandes lignes.
L’Electromagnétisme classique est supposé connu. Le Calcul tensoriel nécessaire
pour les développements mathématiques de la théorie est introduit, aucune
connaissance préalable n’étant nécessaire. Les connaissances de base en Algèbre
linéaire sont cependant supposées connues.
Cet ouvrage n’a pas pour but d’être
exhaustif sur tous les aspects de la Relativité générale. Ainsi la théorie des
ondes gravitationnelles assez technique n’est pas développée. Par contre, j’ai
essayé d’être complet en ce qui concerne tous les aspects conceptuels de
la Relativité générale.
J’ai réservé dans ce livre beaucoup de place à des
expériences de pensée. Ce sont des expériences idéalisées mais faisables et que la
théorie prend complètement en compte. Cependant on ne se soucie pas de
leur réalisation pratique. Le but est par ce moyen d’explorer la cohérence
d’une théorie, ses limites et les concepts nouveaux qu’elle introduit. Elles
ont également un rôle pédagogique. L’étude de cas particuliers concrets
permet de poser les problèmes cruciaux, de faire ressortir les paradoxes
apparents et de faire avancer ainsi la théorie. Elles permettent également
à travers ces cas particuliers de mémoriser les formules et les concepts.
Ce livre étant pédagogique, les calculs ont été complètement développés.
S’agissant d’une initiation à la Relativité générale, je me suis efforcé de donner
des explications détaillées et complètes.
Quelques exercices et problèmes
sont donnés à la fin de chaque chapitre. Les corrigés sont rassemblés à la
fin du livre.
J’aurai atteint mon but si je réussis à mettre en lumière le
cheminement des idées, les principes de beauté, de simplicité, de cohérence et de
généralisation qui guident le physicien dans la construction d’une théorie nouvelle.
Pierre BOUTELOUP, le dimanche 17 octobre 1993